Si un projet est légal, est-il alors forcément légitime ou dépourvu de risques ?
Quand nous énonçons nos arguments contre le développement d’une carrière en bord de Loire à Briare, nous entendons parfois l’argument suivant : « le projet est respectueux des lois en vigueur, il n’y a donc pas de raisons de s’y opposer ». Dit autrement, on entend : « c’est dans les clous de la légalité, il n’y a pas de problème, circulez, il n’y a rien à voir ». Le législateur aurait déjà réfléchi à tout, il aurait tout prévu, et la loi nous protègerait parfaitement.
Nous avons vu par le passé que la réglementation a un temps de décalage par rapport au développement de notre société. L’esclavagisme était il légitime quand il était légal ? Le droit de vote réservé uniquement aux hommes était-il légitime quand il était légal ?
Les hommes et femmes politiques doivent entendre qu’ils et elles ne peuvent pas se retrancher derrière le respect de la législation pour justifier de la légitimité de toutes leur décisions. Par ailleurs, ce légalisme conduit à négliger le fait que, bien souvent, les luttes écologistes de contestation, lorsqu’elles ont réussi, ont fait évoluer les cadres techniques et juridiques de la gestion de l’environnement. Dans le cas des fleuves et rivières, il est maintenant reconnu que c’est suite aux mobilisations écologistes des années 1980 que les aménageurs sont passés d’une doctrine très techniciste de l’aménagement consistant à intervenir fortement pour transformer les bassins versants par la création de barrages à une conception du « ménagement » des cours d’eaux plus économique en financements et plus respectueuse des équilibres naturels (voir :
Sylvain Rode, « De l’aménagement au ménagement des cours d’eau : le bassin de la Loire, miroir de l’évolution des rapports entre aménagement fluvial et environnement », Cybergeo: European Journal of Geography [En ligne], Environnement, Nature, Paysage, document 506.).
Se retrancher derrière la législation, c’est donc faire preuve d’un manque de clairvoyance, de courage et d’honnêteté intellectuelle. Plutôt que de dire qu’on ne peut pas s’opposer au développement d’un projet de carrière à Briare sous prétexte qu’il est légal, les élus et l’ensemble des personnes impactées par ce projet devraient se poser les questions suivantes :
- Est-il légitime que l’exploitation d’une carrière impacte durablement le paysage de Loire ?
- Est-il légitime de faire subir des nuisances (bruit, poussière, baisse du niveau des puits) aux riverains de la carrière ?
- Est-il légitime qu’une seule et même entreprise use plus que la normale les routes en évacuant ses granulats ?
- Est-il légitime de bouleverser un écosystème et une biodiversité dont nous sommes hautement dépendants ?
- Est-il légitime de diminuer les surfaces agricoles ?
- Est-il légitime de favoriser le développement d’une entreprise (cimenterie) hautement émettrice de CO² ? Ne pourrait on pas encourager davantage le développement d’autres modes constructifs, moins énergivores ?
- Est-il légitime d’autoriser le groupe Lafarge à développer son activité alors que cette entreprise a commis d’énormes délits et a trompé plusieurs Etats dont les USA et la France?
Lafarge a été condamnée par un tribunal américain pour financement du terrorisme en Syrie (voir : ) et fait l’objet en France d’une enquête pour crime contre l’humanité. Peut-on croire, dans ces conditions, les promesses et engagements de cette entreprise et lui accorder la moindre confiance ?
Est-ce intelligent et responsable de notre part à nous, citoyens, de nous endormir en pensant que la loi a tout prévu pour nous ? La législation évolue toujours parce qu’on la critique, et c’est cela qui la rend vivante et respectée.
En l’occurrence nous pensons que la législation sur les carrières est largement en retard sur l’actualité du bouleversement climatique, et on peut espérer que c’est en s’opposant à des projets comme l’implantation d’une carrière dans le lit majeur de la Loire qu’on contribue le mieux à une évolution de cette législation pour qu’elle soit plus respectueuse de l’environnement et de la démocratie locale. Il est ainsi absurde que les carrières n’entrent pas dans la nomenclature de l’objectif « Zéro Artificialisation Nette » inscrit dans la loi « Climat et Résilience » de 2022, comme le dénonce le Museum National d’Histoire Naturelle.
Les sablières de la Seine dont j’ai pu voir le projet bien ficelé, raisonnable et prometteur, se sont débarrassées des terres de Rivotte n’y ayant plus aucun intérêt que celui de vendre.
Lafarge étant le nouveau propriétaire, et malgré ses turpitudes, reste encore sous un nom bien français, mais reste tenu tout de même majoritairement par les petits Suisses nos voisins.
Prenons bien garde que parmi les 6 géants mondiaux du ciment, un étranger ne se prenne l’envie de devenir le nouveau proprio du secteur sur Briare, les cartes distribuées seront alors sans aucun atout.